Monday 5 November 2012

Le Dormeur du Val

Je connais ce poème de Rimbaud dans la traduction japonaise depuis longtemps. Mais il ne m'a pas particulièrement impressionné; je me suis simplement aperçu que c'était intéressant comme poème. Je ne savais pas qu'il est très hautement estimé en France. Voici le poème:

C'est un trou de verdure où chante une rivière,
Accrochant follement aux herbes des haillons 
D'argent ; où le soleil, de la montagne fière, 
Luit: c'est un petit val qui mousse de rayons. 
 Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
 Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu, 
Dort; il est étendu dans l'herbe, sous la nue, 
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut. 
 Les pieds dans les glaïeuls, il dort. 
Souriant comme Sourirait un enfant malade, il fait un somme: 
Nature, berce-le chaudement: il a froid. 
 Les parfums ne font pas frissonner sa narine; 
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine, 
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

Rimbaud, il a un regard cinématographique ici qui se déplace doucement de l'arrière-plan aux blessures sur le corps du soldat au premier plan. Je suis certain qu'il était ravi quand il a découvert ce plan. Il y a peu de mots émotifs. Le poème est plutôt descriptif, presque clinique et froid; il construit son tableau avec des mots bien définis, bien colorés. Le problème pour moi, c'est qu'il ne me laisse pas beaucoup de place à l'imagination. On reste toujours comme un observateur qui prend chaque détail l'un après l'autre. Bien que la fin inattendue nous emporte "ailleurs" dans un espace poétique, c'est tout ce que je sens. Je n'ai aucun rapport émotionnel avec le soldat. L'élément de surprise, c'est tout. Á la deuxième lecture, on voit son intention clairement. Peut-être trop. On voit que tous ses mots sont choisis pour nous tromper et camoufler la fin. C'était son stratagème. On a été dupé. Démasqué, le poème maintenant semble beaucoup diminué.

Je pense à un autre poème avec l'élément de surprise. C'est Demain, dès l'aube de Victor Hugo:

Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends. 
J'irai par la forêt, j'irai par la montagne. 
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.
 
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées, 
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit, 
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées, 
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.
Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe, 
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur, 
Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe 
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.
Ici, Hugo ne rien dissimule au moins intentionnellement: il n'a pas l'intention de nous tromper. La surprise est en harmonie avec le ton sombre du poème. Bien que la fin n'ait pas été attendue, je trouve qu'elle fait bien partie du poème entier. Cela marche pour moi. J'aimerais bien savoir comment Hugo aurait écrit Le Dormeur du Val. J'aimerais la version Hugo mieux, je crois.